
Il n'est guère aisé de faire vivre un festival en pleine ville, où la logistique revêt une importance capitale . Pensez aux parkings, aux infrastructures, au montage des scènes, aux accueils des groupes et de leur tonne de matériel, aux accès des festivaliers, aux sorties de secours, au camping et j'en passe. Pour sûr, dans un grand champs flamand où personne ne passe jamais, sinon un troupeau de vaches deux fois par an, ces considérations ne donnent pas lieu à des migraines ou des crises d'angoisse ! Et je ne vous parle pas des pétitions de riverains. Dont acte ; les organisateurs de Rock en Seine méritent qu'on leur tire un coup de chapeau. Reconnaissons également le grand rôle joué dans cette aventure par André Le Nôtre, jardinier de Louis XIV. C'est lui qui, au 17e siècle, avait dessiné à Saint-Cloud des jardins suffisamment vastes, en prévision du festival qui s'y déroulerait plus de 300 ans plus tard. Quel visionnaire !
L'accès au site se fait principalement via les transports en commun , et les bonnes vieilles chaussures de marche. Pour un festival de cette ampleur, la circulation locale n'est que très peu perturbée par l'afflux de fêtards. Le chemin d'entrée se fait uniquement via un court tunnel, assez large que pour éviter un effet Love Parade. Toutes mes excuses vont aux familles des victimes de cette catastrophe, que cette vanne n'aura pas fait rire, ainsi qu'aux rescapés de toute origine, qui eux me comprendront, puisqu'à présent j'en suis un moi-même. La disposition des infrastructures, disséminées aux quatre coins du site, rend aisée la circulation d'une scène à l'autre. Il est d'autant plus agréable de se balader que l'endroit reste étonnamment très propre pour un festival qui accueille 35,000 personnes par jour. Je parle d'étonnement, car le festivalier français a souvent la réputation d'être très dissipé. Mais le public de Rock en Seine refuse de porter cette veste peu glorieuse, et le festival mériterait que je lui décerne le Teddy d'Or de la propreté, si seulement j'avais inventé une cérémonie de récompenses pour festivals ; je vous rassure, ma mégalomanie ne va pas encore si loin. Je puis par contre vous donner quelques raisons qui font de ce festival un modèle de l'hygiène :
- Au bar, la bière ne se sert que dans des gobelets consignés. A un euro la consigne, vous n'avez pas envie de le laisser traîner par terre.
- Les poubelles sont nombreuses et bien réparties. Pas comme à Dour, où il n'y en a qu'une seule pour tout le monde, qui là s'appelle aussi "camping".
- Le prix des denrées locales peut jouer son rôle : la bière coûte 3 euro, 5.5 pour 50cl, et on ne mange rien en dessous de 7 euro. Des prix qui n'encouragent pas à la consommation...
Au-delà de ces observations matérielles, c'est au public et sa nature peu extrême, que l'on doit ce respect de l'environnement immédiat. Outre les représentants locaux, qui viennent parce que c'est près de chez eux, la foule comprend surtout de vrais fans de musique, de tout âge, qui viennent avant tout pour écouter, et non pour ingurgiter. J'en veux pour preuve que les avant-scènes ne désemplissent jamais, et ce quel que soit l'artiste programmé. Au milieu de ce public sympa et familial, les vrais habitués des festivals "roots" sont très peu nombreux. Quant aux vertes pelouses, elles ne furent pas ternies par la boue ; il n'y eut qu'une seule averse, qui plus est durant le concert des BB Brunes. Comme quoi parfois, il se peut que le temps fasse bien les choses.
Dans "Rock en Seine", le mot "Rock" prend tout son sens, puisqu'il complète une grande partie de la programmation 2011. La scène électro est en effet peu présente, si ce ne sont Paul Kalkbrenner ou Etienne de Crécy, pour ne citer que les grands noms. Les styles alternatifs, reggae rap et j'en passe, sont représentés au compte-goutes. L'affiche présente un panel varié des principales subdivisions du rock, entre les références et les jeunes groupes aux dents longues. Voici en quelques lignes et par ordre chronologique, les principaux concerts auxquels j'ai assistés durant ces 3 jours de liesse parisienne :
Funeral Party. Ce frais quatuor américain au chanteur moustachu ne manque pas de peps. Certains titres de leur répertoire ont beaucoup de potentiel, il leur ne faudra cependant d'autres pour assurer une prestation qui ne se termine pas de façon impromptue, après 40 minutes à peine. Très bien, mais légèrement frustrant sur la fin.
Foo Fighters. Prévus jeudi en tête d'affiche, Dave Grohl et sa bande devaient initialement jouer 1h30. Le début du concert fut avancé d'un quart d'heure ... et la fin retardée d'autant, pour notre plus grand plaisir. Visitant l'ensemble de leur répertoire, faisant la part belle au somptueux dernier album, les Foo ont donné un exemple de concert, ne ralentissant jamais la cadence, et se permettant quelques impros sur des standards de Led Zeppelin ou Van Halen. Un véritable récital rock, qu'on n'espérait pas aussi puissant, et pour ma part le meilleur concert du festival.
Cage the Elephant. Une des découvertes de l'année, que ce groupe américain prodiguant un garage rock psychédélique digne de la grande époque. Ils ont assuré, en grande forme, et sous un soleil estival qui ne fit qu'embellir le tableau.
Austra. Formation canadienne exclusivement féminine, si ce n'est un claviériste très efféminé, mais qui n'en reste pas moins "un" claviériste. Une meneuse blonde qui pose sa voix perçante et envoûtante sur des mélodies synthétiques rappelant la grande époque de Human League, accompagnées par des choristes qui donnent plus de présence que de voix. Ce fut tout de même plus que potable.
Interpol. Les leaders du cold rock anglais se gardèrent la première moitié du concert pour s'échauffer. La seconde fut très emballante.
Sexy Sushi. On savait Rebecca Warrior complètement déjantée. Mais pas au point d'escalader les structures de la scène, ou d'insulter les Arctic Monkeys en criant "à mort !". Pour le reste, ce fut un show de fêlés à leur image, du catcheur masqué en slip qui trucide une plante, aux intrusions sur scène de spectatrices à moitié nues. Un peu de folie dans un monde de mélomanes, ça ne peut jamais faire de tort.
The Wombats. Plus on les voit, plus on les aime. Du rock énergique, parfaitement en place, idéal pour rendre vie à nos pieds meurtris avant la promenade retour de 5km, puisque les anglais clôturaient le samedi.
The Vaccines. Je les avais trouvés excellents à Werchter, mais les Londoniens m'ont paru moins en forme sous le ciel de Paris. Leur recette fonctionne, mais peut entraîner une lassitude proportionnelle au nombre de fois où on les voit sur scène.
Deftones. Une valeur sûre du metal, en concert comme en festival. Sauf qu'en festival, ils n'ont droit qu'à une heure de scène, et devraient dès lors cibler davantage leur playlist sur les titres qui ont fait d'eux ce qu'ils sont. L'air de Paris leur a inspiré un set relativement "calme", et l'appréciation qu'on en donne dépend fortement de l'humeur du moment.
Archive. Tout festival a sa claque. Mais c'est une grosse mandale qu'a donné le collectif, au complet et accompagné par un orchestre symphonique. Une prestation intense et poignante de presque deux heures, comme eux seuls peuvent en prodiguer. De quoi nous rappeler la place qu'ils ont occupée sur nos platines et dans nos têtes ces dix dernières années. On ne pouvait espérer plus belle fin de festival.
Je ne pouvais quant à moi espérer plus belle fin pour un été qui ne fut pas toujours ensoleillé. Certes, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, et je suis toujours en mesure de succomber à vos multiples insistances, mais il est fort probable que c'est ce Rock en Seine qui clôturera ma tournée 2011. Comme on dit dans ces cas-là : au revoir, à l'année prochaine, et merci !
Rock en Seine 2011
+: affiche, prix du billet, site
- : prix des consommations